Discours aux élus de Guadeloupe, à Pointe-à-Pitre

  • Guadeloupe

21/08/2022

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[Visite officielle en Guadeloupe] | Jean-François Carenco a consacré sa première rencontre aux parlementaires et élus du territoire. Il leur a présenté le programme de sa visite et les dossiers importants pour la Guadeloupe.

Seul le prononcé fait foi

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Monsieur le Président du Conseil régional, cher Ary CHALUS

Monsieur le Président du Conseil départemental, cher Guy LOSBAR

Monsieur le Président de l’Association des maires de Guadeloupe, cher Jocelyn SAPOTILLE

Monsieur le Préfet, cher Alexandre ROCHATTE

Monsieur le Président du syndicat des eaux, Maire des Trois Rivières, cher Jean-Louis FRANCISQUE

Monsieur le Sous-préfet, cher Bruno ANDRE

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

 

C’est un honneur pour moi de pouvoir m’adresser à vous ce soir, et je souhaite remercier le sous-préfet Bruno André, pour son accueil dans sa résidence.

Je finis par la Guadeloupe mon premier voyage dans les Antilles en tant que Ministre délégué chargé de l’outre-mer, non pas comme signe d’une quelconque préséance, mais comme on réserve à un vieil ami la dernière visite avant de le retrouver vite. En foulant les pieds du tarmac des Abymes, tant de souvenirs me sont revenus en tête, tant de visages sont remontés à la surface, tant de senteurs, tant de saveurs.

« Quand d'un passé ancien rien ne subsiste, écrit Proust dans la recherche du temps perdu, […] l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir […], l'édifice immense du souvenir. »

Ces souvenirs que m’ont rappelés l’air chaud du Gosier et les oiseaux de paradis, ce sont mes années de Préfet de la Guadeloupe, entre 1999 et 2002. Années qui m’ont permis des rencontres lumineuses, celle d’André et Simone SCHARWTZ-BART, celle de Maryse CONDE, celle d’Ernest PEPIN. Ce sont des années de négociations âpres et directes avec l’Union générale des travailleurs de Guadeloupe, ce sont des moments de tension face aux violences des émeutes de septembre 1999, ce sont les années des premières alertes sur la pollution des eaux et les impacts de la chlordécone.  Ce sont les années de mon dernier poste de préfet en Outre-mer avant de rejoindre l’hexagone, les années où je disais au revoir à la famille des territoires océaniques français – qui était devenue pour moi comme une deuxième famille. Je n’imaginais pas, dans mes rêves de vieux fonctionnaire, vous retrouver en tant que ministre délégué aux Outre-mer.

Vous comprenez l’émotion qui me submerge en revenant parmi vous. Et cette émotion invite tant à l’humilité, qu’à la gravité. Car le monde a changé en vingt ans. Et je sais que certains liens se sont distendus, certains fils se sont coupés, certains espoirs se sont émoussés et que la confiance est plus que jamais une gageure. Les émeutes de 2009 sont passées par là, le Covid et son flot d’incompréhensions, de mensonges, de division et de malentendus sont passés par là. La dynamique démographique s’est inversée et la jeunesse s’en va, le scandale de la chlordécone continue de révéler ses terribles impacts, l’inflation et la vie chère fragilisent les trop nombreux précaires, l’insécurité pourrit la vie des habitants, les sargasses polluent les plages, l’air et l’environnement, et l’accès à l’eau n’est toujours pas digne du service attendu par les Guadeloupéens.

Et ce malgré les efforts entrepris par mes prédécesseurs. Car dire que l’Etat abandonne les outre-mer est faux. Les investissements dans la santé et un nouveau CHU, le plan Sargasse II, le plan Chlordécone IV, la création d’un syndicat mixte de l’eau en sont les preuves palpables et concrètes.

Alors, comment expliquer le mal-être exprimé aux dernières élections ? Pourquoi cet appel de « Fort de France » ? Pourquoi les Présidents des collectivités de Guadeloupe, de la Guyane, de La Réunion, de Saint-Martin, de Mayotte et de la Martinique ont-ils demandé à « ouvrir une nouvelle étape historique pour nos territoires d’outre-mer ? » Je viens ici pour comprendre et écouter. Et pour co-construire avec vous sur la base de propositions concrètes, dans un esprit de responsabilité collective.

Vous me connaissez, je suis quelqu’un de franc, de résolu et d’ouvert au dialogue. Aucun sujet n’est tabou, mais les faux-semblants et les écrans de fumée ne peuvent être une base de discussion. Je suis convaincu que ce qu’attendent nos compatriotes, au-delà des questions institutionnelles légitimes mais complexes, ce sont des solutions efficaces à même de répondre aux défis du quotidien : vie chère, emploi, préservation de la nature, accès aux services publics essentiels, santé, éducation, insécurité…C’est la mission qui m’a été confiée par le Président de la République et la Première ministre, sous l’autorité du ministre de l’intérieur et des outre-mer Gerald DARMANIN, et je compte la remplir main dans la main avec vous.

Je rencontrerai demain les acteurs économiques, sanitaires et culturels de l’île. Avec d’abord les organisations patronales et les organisations syndicales représentatives pour parler de la « vie chère » et de l’initiative que j’ai lancée sur le « Oudinot du pouvoir d’achat », puis je déjeunerai avec le monde culturel, notamment de l’Artchipel et du Mémorial ACTe. Je verrai aussi dans l’après-midi les acteurs du secteur du bâtiment, des transports et des pêches, puis les membres de l’Observatoire des prix, des marges et des revenus et enfin les responsables de la santé.

Cette méthode a déjà porté ses fruits à La Réunion où je me suis rendu il y a une dizaine de jours avec Gerald DARMANIN, avec la signature la semaine dernière de la convention canne après 3 semaines de conflit, et sur laquelle je me suis particulièrement mobilisé. « Une convention historique jamais obtenue dans l’histoire de la canne, » ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les planteurs eux-mêmes !   

Mon ambition républicaine pour les Outre-mer est de créer de la valeur dans chacun des territoires.

Valeur économique, bien sûr, quand la part des citoyens en situation de grande pauvreté est de 10 % en Martinique, 12 % en Guadeloupe, 14 % à La Réunion et atteint 29 % en Guyane, contre seulement 2 % en France métropolitaine.

La création de valeur passe par une transformation profonde des modèles économiques ultramarins, qui puissent permettre enfin de créer massivement des emplois durables. En effet, l’INSEE confirme que l'emploi « protège » de la grande pauvreté : la misère ne concerne qu’entre 3 % et 4 % des personnes avec un emploi vivant aux Antilles ou à La Réunion, sur les 10% à 12% mentionnés plus haut. C’est donc le chômage qu’il faut combattre, par la création de richesse pour tous.

Pour cela, il nous faut décentrer notre regard, pour sortir d’une simple logique de rattrapage et de mimétisme par rapport à l’hexagone, afin que les outre-mer, et la Guadeloupe en particulier, deviennent des territoires d’innovation pour répondre aux défis de demain.  

En effet, de la même manière que la Guadeloupe n’est pas un bloc, mais un archipel, avec Grande-Terre, Basse Terre, l’Archipel des Saintes, Marie-Galante, la Désirade et les îlets, qui ont chacune leur fierté, leurs atouts et leur culture, la France n’est pas un bloc monolithique, avec un centre et quelques îles éparses. La France est un archipel, dont 97% de l’espace maritime est hors d’Europe.

Le Président de la République le rappelait lors du "One Ocean Summit" en février dernier : « L'Océan a été le berceau de la vie sur terre. Il en constitue toujours aujourd'hui une clé de voûte indispensable, à la croisée des grands équilibres qui nous assurent une planète vivable. »

Comment accepter que la Guadeloupe, comme les Antilles et les autres territoires ultra-marins, soient considérés par certains comme en retard, alors qu’ils sont aux avant-postes des défis du XXIème siècle, qu’ils sont les vigies d’une planète en plein bouleversement, les lanceurs d’alertes d’un monde qui se désaxe et les laboratoires de sa résilience ?

Là sont à chercher les gisements de croissance et d’emploi pour la Guadeloupe.  

Lutter et s’adapter face au changement climatique, dont les ouragans comme Maria ou les sargasses sont les tristes annonciateurs :  là sont les emplois de demain

Relever le défi de l’excellence environnementale, protéger la biodiversité, améliorer la gestion des déchets pour favoriser une meilleure économie circulaire : là sont les emplois de demain.

Sortir des énergies fossiles, qui représentent encore 77% du mix énergétique guadeloupéen, en développement les ENR pour gagner en sécurité d’approvisionnement et parvenir à la neutralité carbone : là sont les emplois de demain.

Structurer les filières agricoles pour produire et consommer davantage localement, pour aller vers plus de circuits courts : là sont les emplois de demain.

Accroître les échanges économiques et les bonnes pratiques avec les pays du bassin caribéen et développer un tourisme durable qui rayonne à l’échelle internationale : là sont les emplois de demain à même de retenir la jeunesse, et d’attirer aussi les talents.

Mais la création de valeur que je souhaite pour la Guadeloupe n’est pas qu’économique. Elle est aussi culturelle. Pour valoriser et rendre visible la culture des Antilles, pour rendre fier et faire fructifier un héritage encore trop méconnu. On connaît Saint John Perse, mais qui sait qu’il est né en Guadeloupe ? Maryse Condé semble plus connue aux Etats-Unis qu’en France hexagonale.

Outre ces grandes figures, la richesse de la vie culturelle guadeloupéenne mérite plus de visibilité, comme la musique joyeuse de Were Vana et Admiral T(i), les initiatives comme l’ « atelier Odyssée » ou « Plus belle la rue » qui permettent de rapprocher l’art de la jeunesse.

La Route du Rhum est un événement mondial. Il faut que le Tour de la Guadeloupe des Voiles Traditionnelles le soit aussi !

Je souhaiterais conclure avec Simone SCHWARZ-BART, qui écrivait dans Pluie et Vent sur Télumée Miracle : « Le pays dépend bien souvent du cœur de l'homme: il est minuscule si le cœur est petit, et immense si le cœur est grand. Je n'ai jamais souffert de l'exiguïté de mon pays, sans pour autant prétendre que j'aie un grand cœur. Si on m'en donnait le pouvoir, c'est ici même, en Guadeloupe, que je choisirais de renaître, souffrir et mourir. »

La grandeur de la Guadeloupe dépendra du cœur que nous mettrons chacun à assurer son progrès. Vous pouvez compter sur le mien, qui, depuis 1999, a été conquis par votre bel archipel.  

Vive la République, vive la Guadeloupe, vive la France.

Je vous remercie.