Discours du ministre des Outre-mer, Jean-François Carenco, à Saül

  • Guyane

12/12/2022

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"La force d'un territoire est palpable lorsqu'on rencontre son âme, son cœur battant, ici à Saül. Du haut de ces arbres 4 000 espèces vous contemplent. La course saisissante contre le réchauffement climatique se joue sous nos yeux."

A Saül, au cœur du parc national amazonien de Guyane, Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer a pris la parole pour un discours officiel. Le premier d'un ministre du Gouvernement depuis cette commune.

"ici à Saül. Du haut de ces arbres 4 000 espèces vous contemplent. La course saisissante contre le réchauffement climatique se joue sous nos yeux."

 

Seul le prononcé fait foi

Madame la Maire, chère Marie-Hélène Charles,

Chers compatriotes, chers amis,

C’est un immense plaisir d’avoir été accueilli avec tant de chaleur au cœur d’une France si singulière, si précieuse, si belle, si cruciale, notre France de Guyane. J’ai conscience de me retrouver ici dans le poumon vert de notre magnifique pays, en un endroit dont la beauté, la majesté, nous posent mille défis, au-delà de la première impression d’admiration.

On dit que Saül, c’est comme une île, un village en effet éloigné des centres d’activité humaine de Guyane. Et pourtant, depuis que j’ai posé pied à Saül, depuis que nos regards sont attirés vers la majesté des cimes des arbres, vers l’infini d’une nature surplombante, je me sens au centre de quelque chose. Et sans doute sont-ce les villes, les centres d’agitation productiviste, qui sont isolés de la vie.

Quelle chance nous avons en France ! D’être immergé dans cette richesse, cette foisonnance, cette luxuriance. Quelle chance avons-nous, trente ans après le fameux sommet de la Terre de Rio, de pouvoir, sur notre sol national, être exposé aux enjeux climatiques et naturels les plus brûlants, les plus urgents, les plus passionnants.

Que nous dit cette forêt, la plus grande au monde ? Que nous disent ces arbres ? Cette faune, cette flore, ces ressources ? Ils nous disent que nous devons en être fiers, pour commencer. Ils nous disent que la course saisissante à la lutte contre le réchauffement climatique se joue ici, sous nos yeux, sous nos pieds, au-dessus de nos têtes, ici, à Saül. Que ce que nous réussirons pour la planète, c’est ici que nous commencerons à y croire. Saül est le laboratoire de la lutte finale pour la sauvegarde de la planète. La forêt, « effrayante de majesté » comme disait Saint-Simon de Louis XIV, nous envoie ce message, nous met au défi d’être digne de sa beauté et, surtout, de son éternité.

Nous ne partons pas de rien. Dès le sommet de la terre en 1992, le président François Mitterrand déclarait souhaiter la création d’un parc amazonien de Guyane. Le grand président ne le vit pas de son vivant, puisque le parc ne fut inauguré qu’en 2007, mais il demeure le plus grand parc national de France. Le plus grand de France, mais aussi une des zones protégées les plus grandes du monde ! Le plus vaste, et sans doute, en matière de biodiversité, le plus riche ! Depuis des décennies, les scientifiques du monde entier viennent étudier en ces contrées une multiplicité unique de biotopes, dont l’état de conservation est stupéfiant. Depuis 2021, il existe pour Saül un Atlas de la biodiversité communale, bientôt enrichi d’un Centre d’interprétation.

 

Depuis trente ans, progressivement, des amoureux de la nature viennent de partout, profiter des itinéraires inscrits dans le Plan départemental des itinéraires pédestres de randonnée (PDIPR), 45 km entretenus par la collectivité territoriale de Guyane et qui ont construit la réputation internationale de Saül comme modèle de l’éco-tourisme du nouveau siècle.

Les 8 millions d’hectares de forêt de la Guyane constituent donc un atout considérable. Au-delà du parc amazonien, les institutions ont su créer des outils de la sauvegarde et de la conservation. Je pense au parc naturel régional de Guyane, créé en 2001, à la Réserve naturelle régionale du Trésor qui protège les écosystèmes de la montagne de Kaw ; je pense à la Réserve naturelle nationale de Nouragues ornée de stations scientifiques du CNRS ; je pense à toutes les autres réserves nationales, les réserves naturelles nationales de Kaw-Roura, de la Trinité, de l’Amana avec ses mangroves et ses tortues, de l’île du Grand Matoury avec ses 2000 hectares de forêt primaire, du Grand Connétable avec ses îlots protégés.

Non, nous ne partons pas de rien, et ce serait faire injure aux milliers de scientifiques, de militants associatifs, d’avant-gardistes de l’écologie politique, de fonctionnaires travailleurs qui arpentent ces terres sublimes depuis des décennies pour concevoir dans des conditions pas toujours idéales les outils de la protection et de sa conciliation avec le développement.

Nous ne partons pas de rien, et pourtant il faut désormais tout faire, car l’urgence brûle le temps et la sérénité des hommes. Le changement climatique, si les actions de protection ne s’accélèrent pas, toucheront la Guyane de plein fouet ; les sécheresses, les inondations, les glissements de terrain, la montée des eaux, l’attaque et l’érosion des côtes ne seront plus des menaces abstraites.

Les discours alarmistes ne servent point s’ils ne convoquent pas les énergies de la révolution écologique. Et quelle meilleure énergie convoquer que celle des milliers de militants et de travailleurs qui, déjà aujourd’hui sur les côtes, dans les forêts, au bord des fleuves, dans les vallons de Guyane, imaginent l’avenir ? Les plantations sylvicoles, les cultures énergétiques, les stratégies bas carbone fondées sur la biomasse, les centrales d’énergie solaire et d’hydroélectricité se multiplient en Guyane. Elles sont le socle, que dis-je, le piédestal de l’œuvre d’art de protection que la France guyanaise offre à la stratégie mondiale pour le climat.

Forte de cette conscience, de cette stratégie, des initiatives qui existent et qui peuplent nos territoires, notre action doit s’intensifier.

Pour la forêt d’abord. 8 millions d’hectares, 96% du territoire, elle représente 15% du territoire national. Quel défi colossal ! Le premier défi porté à la Guyane et à la France est de montrer au monde qu’il est possible de concilier protection et action, sauvegarde et développement.

Je le dis en pensant à notre jeunesse qui partout en France, partout dans le monde, fait preuve d’une stupéfiante maturité en manifestant, avec parfois de belles radicalités, pour protéger la planète et les hommes. Je sais que certaines actions de la jeunesse consciente d’aujourd’hui dérangent nos habitudes, et je crois en effet qu’elle doit parfois ne pas se mettre en danger contre la loi et contre sa propre protection. Mais, exposé à cette ardeur juvénile, je me souviendrai de cette si belle phrase de François Mitterrand : « si la jeunesse n’a pas toujours raison, les gouvernements qui la négligent ont toujours tort ». Alors, écoutons la jeunesse.

Il ne s’agit pas de refuser la complexité, et parfois la beauté, de l’industrie humaines. Ici ou là, on entend, par facilité, les discours contemporains avancer que sauver la nature, c’est s’abstenir. S’abstenir de croître, s’abstenir d’y vivre, s’abstenir d’exploiter, s’abstenir d’en tirer quelque chose pour l’humanité. Je pense le contraire. Voyez la forêt derrière moi : il faut vivre avec cette forêt. Penser que l’homme peut laisser la nature seule, c’est encore la refuser. Sans les hommes, les arbres sont sauvés, mais il n’y aura plus d’arbre puisque qu’il n’y aura plus personne pour les nommer. « Au commencement était le Verbe » dit la Genèse. Au commencement de tout, il y a l’esprit, il y a les hommes, des hommes qui doivent survivre, se chauffer, se nourrir, dormir et rêver, aimer et regarder le ciel, chérir le passé et construire l’avenir.

La nature n’est pas notre ennemi, mais l’homme n’est pas l’ennemi de la nature s’il se souvient de ce qu’il lui doit et de ce qu’il peut en faire pour lui et pour elle. Bien sûr, la déforestation massive en Amazonie nous choque, et nous devons la combattre. Depuis l’Europe, exploiter la forêt guyanaise et contribuer à la déforestation et au changement climatique serait encore une ignorance, encore une négligence.

La solution est de travailler avec la forêt, l’aimer pour qu’elle nous fasse partager sa vivacité, sa beauté et sa fécondité, et non pas l’ignorer. Le bois peut être durable si on organise son utilisation. Avec le bois, on peut construire des maisons, on peut faire des œuvres d’art, on peut faire des meubles, on peut établir et imposer des labels protégeant l’environnement. Avec les résidus de bois, les co produits de sciage, on fait de l’énergie, de la biomasse, une des solutions à l’incertitude énergétique de l’avenir.

La forêt guyanaise nous donne 80000 mètres cubes par an de bois d’œuvre, c’est la troisième filière économique du territoire, avec un chiffre d’affaires de plus de 100 millions d’euros, plus de 700 emplois en dépendent. En 2030, la forêt nous offrira 210000 mètres cube, pour couvrir les besoins énergétiques de la biomasse. En 2023, une quatrième centrale, à Montsinéry, consommera 15000 tonnes de bois d’œuvre par an les dix prochaines années. Concilier cette ambition avec l’écologie et le bien-être de la forêt, c’est possible, demandez aux ingénieurs de nos fameuses écoles publiques !

La forêt est à la fois trop exploitée et trop inexploitée. Il ne s’agit pas d’exploiter la forêt, mais de la rendre fertile et aimante, de la solliciter, de l’aider. Elle et nous ne devons pas construire un compagnonnage violent, mais pacifique et fertile. La forêt a beaucoup à nous donner. A nous de savoir ce qu’on peut lui offrir, mieux la connaître, mieux la protéger. Vivre avec la forêt n’est pas une nouveauté. Echouer à le faire serait une régression historique considérable, alors que tant de peuples l’ornent, l’aiment et l’habitent depuis des siècles.

La filière forêt-bois est ainsi à parfaire, nous y sommes prêts. La Guyane, vivre en Guyane, croître en Guyane, imaginer la Guyane de demain, c’est justement saisir un modèle de développement que la nation française pourra exporter, sans les excès de l’Hexagone et de ses voisins, qui, il n’y a pas si longtemps, furent trop productivistes. Nous savons désormais comment utiliser le puits carbone de la forêt guyanaise et sa biodiversité spécifique pour rendre possibles l’autonomie alimentaire et le développement foncier. C’est par le travail commun de la collectivité territoriale, de l’Etat, des institutions publiques d’environnement, que nous saurons nous engager dans un cercle vertueux de défrichement, de réhabilitation des emprises en forêt, solution à l’orpaillage, de mobilisation de bois qui permettront l’atteinte des objectifs de production des énergies renouvelables, l’atteinte d’un modèle réussi d’exploitation et de plantation appliqué.

Des actions concrètes doivent être encore engagées. Par exemple, la gestion du bois doit être durable et certifiée, ce qui exige que les besoins en bois d’industrie ou d’énergie doivent être couverts par les produits conjoints de l’exploitation forestière des grumes et des plantations sylvicoles de la bande littorale, proches des centres d’industrie et de consommation. Or, les accès permettant ces plantations sylvicoles sont encore imparfaits.

Nous devons construire et entretenir davantage les pistes d’accès. De 2023 à 2027, ce coût représenterait 5 millions par an, financé par le Feader, l’Office national des forêts (ONF) assurant la trésorerie et ses avances.

J’annonce également aujourd’hui, face à la forêt qui nous regarde, nous juge et nous attend, la mise en place d’une task force pour la valorisation, c’est-à-dire à la fois la préservation mais aussi le développement, de la forêt guyanaise au premier semestre de 2023. Cette force s’engagera de toutes ses forces dans la lutte contre le déboisement et l’exploitation illégales, dans la lutte contre les incendies et l’adaptation des moyens des directions concernées. Les projets et plans territoriaux seront pensés en cohérence avec les objectifs climatiques nationaux, et en priorité en fonction du puits carbone français de l’horizon 2050 et de la stratégie bas-carbone.

La stratégie bas-carbone justement, permettez-moi, femmes, hommes et arbres, quelques mots sur elle.

En 2020 était publiée la deuxième stratégie nationale bas-carbone et ses évaluations macro-économiques, en soulignant, ce fut commenté, l’existence d’un double dividende de long terme de ses actions, l’atteinte de la neutralité carbone en 2050 avec une hausse du Pib de 3,5% et la création de près de 900000 emplois. Nous ne sommes pas naïfs, et nous n’avons pas besoin d’être alarmés pour savoir qu’un Pib, donc un développement, favorisé par la stratégie bas-carbone dépend de plusieurs facteurs de politique économique. Tout d’abord des contraintes de financement : par exemple, l’acquisition de véhicules électriques par les ménages français doit se faire sans surcoût, et également sans la délocalisation de la plus-value de l’industrie automobile européenne qui ne doit pas perdre la marge de financement des batteries si elles sont fabriquées ailleurs dans le monde. Cela créerait de la pauvreté et du chômage. C’est un exemple, mais c’est aussi une exigence. La stratégie bas-carbone n’est pas qu’une question de consommation ou de sobriété ; c’est aussi une question de production, de construction de filière qui se passe aujourd’hui, ici et maintenant. La France, son Etat, son administration, sont mieux préparés que leurs voisins pour réussir le défi fondamental du pilotage macroéconomique et budgétaire des politiques bas-carbones. Le récent secrétariat général à la planification écologique le montre.

Il faut aller plus loin, créer une feuille de route interministérielle pour l’amélioration des modèles de prises en compte de la stratégie bas-carbone dans les politiques industrielles et économiques.

Nous n’y arriverons pas sans l’intelligence, c’est-à-dire sans la recherche. Le CNRS, le CIRAD, tous les instituts de recherche doivent venir ici, nous aider à construire un avenir qui sortira autant du génie de la forêt que de celui de l’esprit des hommes.

Alors, avant de nous quitter, prenons la forêt à témoin, promettons à l’Amazonie d’être digne d’elle. L’idéal de l’avenir n’est pas une société sans hommes, mais de femmes et d’hommes intelligents, industrieux et protecteurs de leur milieu. La nature ne nous hait point, elle ne demande qu’à vivre avec nous, à prospérer avec nous. Avec elle, grâce à elle, nous saurons construire une stratégie nationale d’atténuation, d’adaptation, de préparation, de réparation, ces maîtres-mots de l’avenir.

Nous devons travailler avec nos frères partout dans le monde qui partagent nos ambitions. Nous le faisons en Europe avec le plan Fit for 55 de 55% de réduction des émissions avant 2030, avec nos plans d’accélération des renouvelables. Nous le faisons avec nos frères, partout dans le monde, pour sortir de l’économie du charbon.

Avec l’Afrique du Sud, l’Inde, l’Indonésie, le Sénégal, la France agit conjointement, avec de grands moyens, pour que nos pays amis trouvent avec nous cette voie durable car on nous reconnaît partout dans le monde une expertise énergétique raisonnable et solide.

La bataille pour la biodiversité est évidente. Climat et biodiversité sont les deux faces d’une même médaille, a dit le Président de la République il y a quelques jours en Egypte lors de la Cop 25.

Ecosystème préservé, mangroves prospères, forêts anciennes : sont les chapelles Sixtine de nos territoires ultramarins. Les contrats politiques et financiers avec les pays qui veulent préserver ces trésors de biodiversité en seront les garants : je pense à la Colombie, au Gabon, au Rwanda, aux Philippines qui travaillent avec nous.

Les ONG, les associations, les collectivités, l’Etat, les cerveaux solitaires, les syndicats : tout le monde est invité à trouver les fulgurances écologiques de l’avenir durable, qui est d’abord un avenir durable.

C’est en France que cela se passe, et grâce aux Outre-mer. La France doit être exemplaire, car elle n’est pas qu’un pays d’histoire industrielle sous des cieux froids, elle est ici, dans les forêts majestueuses, elle est à quelques kilomètres au bord des océans inutilisés : les océans, nouvelle frontière comme le fut l’espace à l’époque de Kennedy, les Ocean Summit des années qui viennent le montreront.

Nous avons la capacité d’être exemplaires chez nous car l’Amazonie, les coraux, les fonds marins, les mangroves, c’est chez nous !

Vous qui vivez ici face à la forêt, qui avez préservé cette merveille depuis des siècles, en adoptant siècle après siècle des cultures de partout, amérindienne puis d’ailleurs, vous qui savez que la nature et l’histoire jouent à deux, se font bonnes compagnes si elles se respectent et s’aiment, vous savez ce qui nous attend. Je me prends à imaginer les peuples de nos ancêtres, partir dans la forêt y trouver des médicaments, des savoirs ancestraux, que l’industrialisation sommaire a perdus, que notre intelligence écologique saura retrouver par l’humilité, l’ardeur et le courage.

Français, du haut de ces arbres, 4000 espèces vous contemplent. Elles sont les pyramides de l’avenir. Levons les bras, accueillons la musique des oiseaux, le rythme des saisons et la poésie d’une planète réconciliée avec l’humanité, retroussons-nous les manches, et partons ensemble, l’esprit libre et souriant, vers les belles aventures de demain.

Merci.