25e anniversaire du théâtre d’outre-mer en Avignon, le Toma à la chapelle du Verbe incarné

19/07/2023

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Jean-François Carenco au théâtre de la chapelle du verbe incarné en Avignon

Madame la Préfète, chère Violaine,

Madame la Maire,

Chère Marie-Pierre Bousquet, cher Greg Germain,

Chers artistes, chers amis,

 

Quelle émotion, pour moi, de revenir en ces lieux en tant que ministre. Marie-Pierre et Greg savent que je suis un spectateur régulier, et même une fois, j’y ai été acteur, humblement, et c’est un très beau souvenir. Je connais bien, depuis des années, les animateurs de ce lieu précieux pour le génie ultramarin. Ma passion pour l’art ultramarin, pour le spectacle vivant, pour l’âme et l’esthétique ultramarins, me portent ici chaque année, et j’en sors l’esprit plein de questionnements, d’interpellations, de réflexions, pour l’année qui vient.

« Réfléchir ou mourir » pourrait-on lire au-dessus du fronton de la chapelle du Verbe incarné, paraphrasant Delgrès et son dernier cri de liberté et de rage émancipatrice. Ici, les compagnies de tous les territoires ultramarins se présentent à l’Hexagone, au public du festival, mais aussi aux autres Outre-mer, et c’est ce qui me ravit et me conforte à continuer à faire de ce lieu la vitrine de l’art vivant de nos vivants territoires. La singularité de l’Histoire de nos terres ultramarines, faite de souffrances, de crimes contre l’humanité, mais aussi de splendides résistances et de désirs de liberté, irrigue l’art ultramarin. On connaît bien la littérature, bien sûr, qui a conquis le monde par cet entrelacs de joie et de douleurs. On connaît bien la musique, qui a conquis des continents entiers, dont l’Afrique, et qui continue à le faire. Eh bien grâce à vous, à vous tous, le théâtre, la danse, le mime, la déclamation, le slam ultramarins conquièrent le monde, et j’en suis tellement heureux et fier.

A une rue d’ici, de l’autre côté de la rue Noël-Antoine Biret, il y avait une église dédiée à Sainte-Claire où, le 6 avril 1327, « à la première heure du jour » comme il l’écrivit lui-même, le poète Pétrarque est devenu amoureux fou d’une jeune femme, Laure de Noves. Cette rencontre est très célèbre dans l’histoire de la poésie et de la dramaturgie, puisque l’amour pour un être allait pousser un poète médiéval à soumettre les vers et la poésie dramatique à une souffrance et à un enthousiasme singuliers. Après cette rencontre, ce qui compte en art, c’est ce qu’un cœur a à exprimer, et non plus ce qu’une forme classique a à imposer. C’est exactement ce que la chapelle offre au génie artistique ultramarin : rien n’est imposé, tout est à dire, tout est à inventer, à partir de l’expérience sensible d’une expérience de nos territoires. Laure et Solitude, main dans la main, c’est cela la chapelle.

La culture est ma priorité d’action. Le théâtre, pour les ultramarins, n’est pas un simple divertissement. J’ai toujours trouvé qu’il était héritier de la grande ambition dramatique du théâtre grec, qui, en mêlant danses anciennes et nouvelles, poésie mythologique et politique, dialogue avec le monde divin comme avec les spectateurs concrets, construisait un art total. L’artiste, dans les territoires de l’archipel français, donne tout dans le théâtre, tout, le chant comme la danse, le rite ancien comme l’idée nouvelle, les larmes comme les joies, le ciel comme la terre, la mer comme la montagne, les abysses du désespoir comme les constellations des émois.

« Le théâtre est une tribune. Le théâtre est une chaire. Le théâtre parle fort et parle haut » disait Victor Hugo. Avec un théâtre comme non seulement on le voit à la chapelle, mais surtout comme on le vit, ultramarins et hexagonaux partagent un même monde, ils sont ensemble dans le même bateau, ils se sentent héritiers, acteurs et prophètes des mêmes histoires et du même destin.

Alors, que cet anniversaire soit fêté, que ces 25 ans soient célébrés, avec le faste qu’ils méritent ! Non pas le faste clinquant des célébrations vulgaires et ostentatoires, mais avec le faste du cœur et de l’amitié. Venir à la chapelle, c’est devenir un ami. Un ami au sens d’Edouard Glissant, Glissant ami de Greg qui conçut les concepts qui gouvernent ce lieu : c’est un lieu de relation, c’est-à-dire de créolisation, de constitution du Multiple, de puissance singulière d’ouverture. Un lieu du Tout-monde, c’est-à-dire lieu concret et universel à la fois, où l’universel devient pratique, où l’on célèbre un univers qui change, où les êtres à tout moment remettent en cause le lieu unique de production de sens. On en sort plein de beauté et on en sort plus intelligent.

Bon anniversaire !

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Cet anniversaire est l’occasion de remettre à une des fondateurs du TOMA une médaille particulière à notre ministère. On ne vient pas à une cérémonie d’anniversaire sans cadeau chère Marie-Pierre.

Je garde donc la parole pour un moment plus intime, et plus émouvant : la récompense de mérites d’une citoyenne particulière, exceptionnelle, particulièrement engagée dans la cause de nos Outre-mer.

La France n’a pas de pétrole, mais elle a des idées et des médailles. Il est bon, quand le mérite et la valeur l’exigent, d’arrêter le temps, de prendre le temps pour se regarder dans les yeux, et se dire, de temps en temps, que nous faisons du bon travail.  Disons-nous parfois que nous faisons du bon travail ! Nous ne savons pas assez le faire.

En ce mois de juillet brûlant où la vie des hommes et les tourbillons de la nation ne nous laissent que de brèves suspensions, nous avons tenu à distinguer le talent d’une grande dame de l’art.

Une femme dont l’énergie, la conviction à servir l’intérêt général ultramarin touchent tout esprit occupé à analyser ce qui, aujourd’hui dans la culture ultramarine, construit l’avenir.

La médaille d’honneur de l’engagement ultramarin est destinée à récompenser et mettre à l’honneur toute personne ayant éminemment servi la cause ultramarine. Qui peut dire qu’il en est plus digne de vous, de toi, chère Marie-Pierre ?

Notre compagnonnage est bien ancien, et date des bancs de l’école, puisque j’ai eu l’honneur de vous avoir comme élève à la Montpellier business school. Je me souviens de cette élève excellente, entreprenante et pleine d’idées, qui n’a pas tout de suite rejoint le monde de l’art. Marie-Pierre fit d’abord une brillantissime carrière d’entrepreneur dans l’informatique, une carrière fulgurante, remarquée. Puis un ange passa. Il y eut des rencontres, celle de Greg assurément. Mais sans doute aussi, et surtout, un cheminement personnel qui fit que votre énergie, votre talent, votre enthousiasme, vos facultés d’organisation devaient urgemment être mises au service des autres. La cause de la culture ultramarine, la réalisation, la production, l’animation du lieu magique de cette chapelle du Verbe incarné, furent les causes de cette deuxième vie professionnelle qui vous convoquent notre estime, notre admiration et nos encouragements. Vous abritez le talent, vous le confortez, vous lui donnez confiance. Tout artiste se trouve à un moment de sa création seul face à l’immensité de son art. Etre artiste, c’est voir sa singularité sensible heurter l’époque et ses conservatismes, l’Histoire et ses démons, la civilisation et ses rentiers. Tout Botticelli qu’il était, il avait besoin de Laurent de Médicis, comme Phidias avait besoin de Périclès. Je ne parle pas d’argent, de mécénat ou de modèle économique, il faut cela aussi, bien sûr, et Dieu sait qu’on s’en occupe, qu’on s’y emploie… Mais je parle surtout de ce soutien du cœur, de ce cordage qu’on tend à l’artiste pour lui dire que s’il est toujours seul face au vertige de la création, il ne l’est plus face à ce que Dante appelait « la forêt obscure » de l’existence. Vous avez su dire à des centaines d’artistes ce que Verlaine écrivit à Rimbaud, ces mots par lesquels le jeune Arthur quitta Charleville et par lesquels tant d’esprits brillants brillent à Avignon, je cite : « Venez, venez vite, chère grande âme... on vous désire, on vous attend! ». Pour tout cela, bravo, bravo et merci.

Marie-Pierre Bousquet, je suis heureux de vous remettre la Médaille de l’engagement ultramarin.